Une double naissance : Etienne Pernet et Antoinette Fage (2/3)
Une rencontre décisive
C’est dans ce contexte que prend place la rencontre entre Etienne et Antoinette.
Etienne poursuit alors son ministère depuis la communauté de la rue François Ier. Il est directeur spirituel, il confesse, prêche, et rend visite aux pauvres et aux malades. C’est là qu’il se révèle à ses supérieurs. Déjà, quelques jeunes filles se sont présentées à lui à la recherche de travail comme garde-malades. Il leur propose de soigner les riches en les faisant payer et de soigner les pauvres gratuitement, et installe celles qui acceptent dans un appartement rue Vaneau.
Il fait la connaissance d’Antoinette Fage alors qu’il recherchait une place pour une institutrice âgée et malade. Assez vite, Etienne a l’intuition qu’Antoinette pourrait être la personne qu’il cherche pour devenir la « mère » de l’œuvre qu’il est en train de commencer, et Antoinette de son côté lui demande de devenir son conseiller spirituel. Pendant un an, il prie et réfléchit, pendant qu’Antoinette continue son travail de directrice, car elle tient à ses orphelines et ne souhaite pas les abandonner, malgré ses désaccords avec les Dames de Mesnard.
Un non qui se transforme en oui
Les choses se précipitent en mai 1865 : Le Père Pernet apprend que les dames de Mesnard projettent de remplacer Antoinette, sans lui en avoir parlé. Il comprend alors que le moment est venu de lui découvrir le projet qu’il nourrit pour elle, qu’elle devienne la supérieure de la petite communauté de garde-malades.
C’est à la fois par leur correspondance et par le récit quelle écrira elle-même plus tard que nous pouvons saisir la réaction d’Antoinette. Elle commence par refuser, effrayée à son tour par son manque de santé et d’instruction et ne se sentant pas à ce moment-là la vocation de religieuse.
Mais le Père Pernet accueille ses réticences avec bienveillance et la rassure. Il souhaite qu’elle prenne sa décision en toute liberté. Antoinette aussi veut faire son choix librement et a même préféré s’éloigner un temps de Mlle Pétard, comme elle l’écrit au Père Pernet :
« J’ai eu dans la journée la visite de Melle Pétard, notre prieure[1], elle ne savait que penser de mon silence, et en effet, après l’intérêt et l’affection qu’elle m’a toujours témoignés, elle avait lieu d’être étonnée de ma conduite envers elle. Je me suis excusée […], lui disant que d’ailleurs, au moment de prendre une aussi grave détermination que d’accepter la direction de cette petite œuvre, j’avais besoin pour conserver une entière liberté de cœur et d’esprit, de ne voir aucune personne qui, dans un but d’intérêt et d’affection pour moi, aurait pu vouloir essayer de m’en détourner. »
C’est un véritable combat intérieur qu’elle doit livrer, pour prendre une décision libre. Elle ne s’y est pas dérobée. Mais au-delà, à travers le Père Pernet, c’est à Dieu qu’elle obéit, c’est à son appel qu’elle répond.
Différents, complémentaires
Ce qui semble frapper les contemporains d’Antoinette, ceux qui l’ont connue en particulier lorsqu’elle était jeune adulte, c’est, malgré son apparence chétive et une santé fragile, sa gaité, sa spontanéité, sa vivacité, comme en témoigne Mlle Pétard, dans l’extrait déjà cité. Les difficultés et épreuves qu’elle a vécues, au lieu de l’endurcir, l’ont rendue au contraire particulièrement attentive aux souffrances des autres.
Elle se sent proche des enfants, particulièrement des orphelines, car leur expérience rejoint ce qu’elle a elle-même vécu et elle sait se faire aimer d’eux. Elle est aussi particulièrement généreuse, donnant toujours, souvent au-delà de ce que pouvaient lui permettre sa bourse, voire sa santé.
Enfin, elle est dotée d’un grand sens pratique, qui lui sera bien utile, particulièrement dans les premières années de la congrégation.
Etienne, lui, est grand, plus réservé et timide. Il n’aime pas prendre la parole en public, bien qu’il y soit souvent obligé par sa charge et prend le temps de la réflexion et de la prière avant de prendre des décisions. Toutefois, une fois certain de faire la volonté de Dieu et que son devoir lui apparait clairement, rien ne peut plus l’en faire dévier. Plus jeune, il était plus vif et impulsif, comme le montrent plusieurs épisodes de sa jeunesse, mais il a su apprendre à dominer ce trait de caractère.
Une Dame Servante, Mme de Longueil-Méric, se souvient de l’époque où, enfant, elle a connu le Père Pernet, vers 1866 :
« Il avait la parole aimable, plutôt brève, le pas alerte. Je me souviens de sa manière d’ouvrir les portes : c’était vite fait ! A la manière d’un bon vent qui entre ! Un caractère gai (…), ne voulant voir que le bon côté, le côté surnaturel des événements ou des choses. Il était très maigre à cette époque, d’apparence délicate, la physionomie allongée, (…), les yeux qui vous lisent jusqu’au fond de l’âme (…). Sa foi, très élevée, ardente et simple, allait tout droit. »
Malgré ces différences, Antoinette et Etienne se rejoignent sur bien des points : bien que l’un soit d’origine rurale et l’autre citadine, ils viennent tous les deux de milieux modestes, ont travaillé de leurs mains et ont connu les deuils familiaux. Lors de leur rencontre, ils ont tous les deux 40 ans, et ont en commun une certaine fragilité, Antoinette ayant connu de nombreuses épreuves et Etienne émergeant tout juste d’une longue période de recherche anxieuse de sa vocation. Leur santé est également fragile et ils sont tous les deux d’une grande sensibilité. Mais cette situation, loin de les isoler ou les renfermer, les a au contraire rendus tous les deux attentifs à la misère.
Et ce qui lie Etienne et Antoinette, surtout, c’est leur confiance indéfectible en Dieu.
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[1] Prieure du Tiers-Ordre dominicain.