Une double naissance (3/3)
Cet article est la suite et fin du double portrait d’Etienne Pernet et d’Antoinette Fage, rédigé à l’occasion du bicentenaire de leur naissance. Il a été publié sur ce site en trois parties, dont voici la troisième, qui évoque les débuts de la fondation et la direction d’Antoinette et d’Etienne.
Deux fondateurs
Dès l’origine de son intuition, le Père Pernet sait que pour parvenir à aider les familles ouvrières dans la difficulté, il lui faudra « une femme, et une femme religieuse », comme il le répètera plus tard. Il comprend en effet rapidement que son état de prêtre ne lui permet pas d’entrer dans les foyers comme il le souhaite. Et en effet, dans la société de l’époque, on aurait bien du mal à imaginer un prêtre un balai à la main, ou pire, assister à un accouchement ! De plus, il avait eu l’occasion de ressentir dans ses expériences précédentes une certaine méfiance du monde ouvrier envers le prêtre.
Et, pendant quelques mois, il fait l’expérience avec ces quelques garde-malades de la rue Vaneau d’un début de fondation. Mais il se rend compte rapidement qu’il leur manque une mère. Sans supérieure, la petite œuvre végète. C’est là qu’Antoinette fera la différence. Son sens pratique, sa générosité, son don total d’elle-même, et même ses capacités d’autonomie font d’elle la personne idéale.
En effet, en 1865, Antoinette Fage est une femme indépendante, très attachée à une forme d’autonomie. Dès son enfance, elle a voulu gagner sa vie pour ne pas être une charge pour ceux qui l’ont recueillie après la mort de de sa mère. En acceptant la proposition du Père Pernet, c’est vrai, elle craint cette perte, celle de cette liberté chèrement acquise. Ceci étant, son esprit indépendant n’empêchera jamais Antoinette de s’adapter à la vie en communauté. Cette indépendance de caractère et cette capacité à l’autonomie seront au contraire très précieuses pour l’œuvre, surtout dans les commencements et les nombreuses difficultés traversées.
Dans leurs rapports avec les autres, l’un et l’autre sont guidés par une attitude « d’exigeante bonté ». Ce n’est pas une « bonté fade », comme le rappelle Mère Humberte dans son fascicule sur le P. Pernet imprimé en 1954, mais une bonté constructive, qui oblige les autres à se dépasser et à devenir meilleurs.
Ainsi, Antoinette écrit, par exemple, le 22 janvier 1866 à Etienne :
«Je ne trouve rien qui me gêne dans la direction que vous donnez à nos chères enfants, jamais vous ne serez trop doux pour elles, car il vaut mieux se faire aimer que de se faire craindre, surtout que vous savez fort bien ajouter la fermeté à la douceur quand cela est nécessaire. »
Face aux difficultés
Bien sûr, il y eut à faire face à maintes difficultés. Les difficultés financières des débuts de l’œuvre sont bien connues, et bien angoissantes pour Antoinette. Le principe de la mission est de n’accepter aucun paiement ou aide de la part des malades soignés, « pas même un verre d’eau » (rapport aux bienfaitrices de 1867), et Antoinette, comme dans sa jeunesse, donne au-delà des ressources de la jeune œuvre. Ce n’est qu’au fur et à mesure qu’un système de bienfaiteurs et de quêtes sera mis en place, avec l’aide des autres congrégations de l’Assomption, ce qui permettra aux sœurs de souffler un peu et de se donner entièrement à leur mission.
Il y eut aussi quelques conflits internes à gérer. Par exemple, avec Marie Maire, qui avait été responsable de la communauté de la rue Vaneau, et qui craint d’être mise de côté (inquiétudes rapidement dissipées après l’installation rue Saint-Dominique, d’ailleurs).
Antoinette s’ouvre de ces préoccupations au Père Pernet :
« Est-ce donc à dire que moi seule suis bonne, et que toutes sont mauvaises, à Dieu ne plaise, que j’en juge ainsi. Mais je dis que les deux tiers au moins sont impropres à la Vie Religieuse (…); elles blâment tout, critiquent tout, ne veulent se soumettre à rien, sans cesse épiant la conduite des autres, sont très susceptibles pour elles et voudraient que l’on usât toujours de rigueur envers les autres (…) » Lettre à EP, 29 février 1868
Les difficultés sont aussi liées au contexte politique : la guerre de 1870, la Commune, et, plus tard, le climat général qui devient de plus en plus anticlérical. A cela s’ajoutent les tracas de toutes sortes, en particulier les incessantes recherches de logements et les déménagements successifs de la jeune communauté, liés à l’accroissement du nombre de ses membres.
Mais le plus difficile à vivre, du moins pour Antoinette, ce sont les médisances et calomnies, en particulier après le départ de deux sœurs, très appréciées dans le milieu des « bonnes gens » de la paroisse. Ils ne croyaient pas dans cette œuvre qui n’avait pas encore fait ses preuves, et qui se trouvait alors sans ressources et sans appui.
Le Père Pernet est bien sûr un père pour elle, qui n’a pas connu le sien, et pour la jeune congrégation. Il est aussi un guide pour les sœurs, par l’intermédiaire de Marie de Jésus. Il veille sur elle et reste un soutien indéfectible, sans se permettre d’intervenir directement dans la vie de la communauté.
Il écrit à Antoinette le 26 juillet 1865 :
« Je me repose entièrement sur vous comme sur moi-même. Mais les commencements sont durs et épineux ; ce serait bien mal à moi si je ne vous exprimais que j’en partage le poids avec vous et que, comme vous, j’en sens les épines. »
De son côté, elle lui ouvre totalement son cœur et ses difficultés. Ils s’épauleront, au final, vraiment l’un l’autre et une certaine réciprocité s’installe. Etienne écrit par exemple le 22 janvier 1866 :
« Je m’ouvre à vous, ma fille, vous devez le voir, vous en faites de même de votre côté ; voilà une garantie d’une entente bonne et durable. Je suis convaincu qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin, jusqu’à ce que nous ayons accompli toute notre tâche. »
Deux membres de l’Assomption
Etienne reste dans le même temps un assomptionniste très actif dans sa communauté, particulièrement dans les années 1965-1870, et très sollicité par ses supérieurs. En tant que l’un des premiers membres de la congrégation des Augustins de l’Assomption, il en constitue l’un des piliers. Il est donc particulièrement imprégné de l’esprit de l’Assomption, ce qui se retrouve d’ailleurs dans les formules de vœux et dans la Règle de la jeune congrégation. Dans le même temps, il lui impulse son caractère propre en direction des « pauvres et des petits ». En tant que fondateur et assomptionniste, il est le garant du charisme de la jeune congrégation.
Antoinette entre sans réserve dans ce projet. Tous deux se retrouvent pleinement dans les moyens d’action pour réaliser la mission et faire advenir le Règne : le fameux « peu de paroles, beaucoup d’actes » du P. Pernet trouve particulièrement écho chez Marie de Jésus, qui n’a elle-même laissé que peu d’écrits, à part sa correspondance.
Tout cela, ils ne le font pas pour en tirer une quelconque gloire. Ils se savent « envoyés » et dépositaires d’une mission, celle de « refaire un peuple à Dieu » et c’est l’adveniat qui les guide.