Histoire d’une vocation

Histoire d’une vocation

Je suis née le 16 août 1933 à Tossa de Mar (Gérone), petit village de la Costa Brava. Mes parents, Tomás et Assumpta ont eu 4 enfants, j’étais la deuxième. Mes grands-parents maternels habitaient le même village, dans une ferme proche, et mon père possédait une modeste fabrique de liège.

La guerre civile espagnole a profondément troublé la paix de ce petit village et de l’ensemble des villes d’Espagne, et j’ai appris par mes parents les atrocités et les restrictions qui ont duré pendant de nombreuses années. Tout près de la maison, des refuges avaient été mis en place dans la montagne, et dès que la sirène sonnait, nous courions nous réfugier… Des années plus tard, les enfants innocents que nous étions s’en servaient de cachettes pour nos jeux… L’été, nos cousins nous rejoignaient et nous allions ensemble explorer les falaises, les grottes creusées par la mer qui étaient de toute beauté, les montagnes, les champs et les sources…. Et le soir nous nous réunissions dans la ferme des grands-parents avec nos parents, oncles et tantes.

Enfance

Dès mon plus jeune âge, j’ai perçu la bonté de mes parents. À 4 ans, un pêcheur remit entre mes mains un magnifique poisson en me disant : « Ma petite, donne-le à ton père… Tu ne sais pas quel père tu as.. » Il l’avait approvisionné gratuitement en essence pour qu’il puisse continuer à pêcher. À l’occasion des fêtes de la Croix, un prix était remis aux enfants qui avaient confectionné la plus jolie croix avec des fleurs naturelles. J’avais six ans quand ma croix fut primée. Ma mère me dit alors : « ma fille, as-tu envie de partager ton prix avec des enfants qui n’ont pas grand-chose à manger ? » « Oui, bien sûr ! » lui répondis-je ; et nous allâmes toutes deux le leur donner… je fis connaissance de cette famille… et je ne l’oublierai jamais.

La confiance et l’affection immense de nos parents suppléaient largement l’absence de fantaisies… Leur foi profonde se traduisait par la bonté, le service, la compassion…

À 9 ans je partis du village pour être interne dans un collège de religieuses à Lloret de Mar, jusqu’à ma 3ème année de lycée. J’étudiais, mais je m’ennuyais énormément. À 12 ans, nous partîmes vivre à Barcelone….

Cette même année, ma mère tomba enceinte de son 5ème enfant, dont je devais être la marraine. Le mois de juillet arriva et nous attendions la naissance avec excitation. Mais un jour ma mère me dit : « ma fille, je ne me sens pas bien, ton père va m’emmener chez le médecin ». Ils revinrent ensuite à la maison en disant : « Le médecin ne comprend pas pourquoi je me plains. Tout va bien » ; le soir même, elle avait 40°C de fièvre… l’accouchement s’avéra très difficile… un martyr : le petit bébé, Assumpta, était décédée. Et deux jours plus tard, malgré de nombreuses transfusions et antibiotiques, ma mère s’en alla, sereine, confiante en Dieu. Elle m’avait fait appeler la veille : je caressais ses bras dénudés en raison de la chaleur de juillet, tout en la mouillant de mes larmes … et elle me regardait avec un amour impossible à oublier : « Ma petite fille, je m’en vais avec Dieu… je l’ai reçu… je suis heureuse… Maintenant, à toi de t’occuper de tes frères et sœurs ». « Prends la petite robe du bébé et demande à la dame de la mercerie de te l’échanger contre un sous-vêtement pour l’un de vous », puis, me désignant un tiroir de la commode : « tu trouveras un foulard pour Maria, une cravate pour Vicente, des chaussettes pour Remei, etc. etc. Quand vous irez à Tossa, donnez-leur de ma part ». Arrivée à Tossa, entre les embrassades et les larmes, je leur remis toutes ces petites attentions qu’elle avait eues. Et en passant devant la maison d’une vielle dame, celle-ci me dit : « Ah, ma petite ! Elle a été pour nous l’ange des pauvres ! » J’allais avoir 14 ans…

Adolescence

Ma vie changea ; je devins très réfléchie. Je me posais une montagne de questions sur la foi… J’aimais beaucoup mes frères et sœurs, mon père, ma grand-mère, mon oncle… À 16 ans, je fus très marquée par des journées de prière et j’ai commencé à suivre des cours dans la petite école d’employées domestiques.

Un jour, en ouvrant mon pupitre, une phrase m’a traversé l’esprit comme un éclair : « Tu seras religieuse ». J’ai refermé mon pupitre d’un coup et je me suis dit : « jamais ! Je me marierai et j’aurai beaucoup d’enfants comme ma mère ». Mais la scène s’est reproduite encore et encore…

Le jour de l’Immaculée Conception, je me suis consacrée à la Vierge, et le soir-même je fêtais cela au Palau de la Música (palais de la musique) avec mes frères et sœurs, sans rien leur dire. J’avais 16 ans ; un an plus tard, je renouvelai ma consécration à Marie et je compris que la meilleure façon de la fêter serait de ne pas manquer l’école. J’en ai parlé avec la religieuse qui surveillait l’étude, et elle m’a présentée à un prêtre. Après avoir dialogué avec lui, je lui ai dit : « je veux être religieuse ». « Tu es encore trop jeune », m’a-t-il répondu. Moi, j’étais convaincue. Et j’ai commencé pendant l’été à me lever très tôt tous les jours pour aller à la messe à bicyclette à 3kms. Et sur le chemin du retour je faisais les courses. Quand il y avait du tonnerre, je chantais le Magnificat pour chasser la peur. À cette période également, j’ai commencé à visiter Jésus dans le Tabernacle, sans que ma famille ne soit au courant. Je grimpais dans un magnolia, je cueillais une ou deux fleurs, et j’allais les déposer à côté du Tabernacle ; je m’asseyais sur le premier banc et je laissais parler mon cœur. Ensuite, en silence, j’écoutais, jusqu’à ce que je pense avoir obtenu la réponse.

Vint alors une période de perplexité. Je disais à Dieu : « Je t’ai dit oui, mais il n’y a aucune congrégation qui m’attire… Alors, débrouille-toi ».

Je voulais faire des études pour devenir infirmière. Mais la veille de mon inscription, je reçus des informations sur l’école de travail social. Dans cette école, au milieu de cette jeunesse très « agitée », il y avait une PSA, María Miret, qui démarrait aussi ses études : elle était très proche de toutes et impliquées dans nos « petites grèves » pour mettre au goût du jour certaines traditions… et imperceptiblement, elle parlait de la mission des Petites Sœurs ; de plus, nous prenions le même tramway et nous continuions à bavarder…

L’Appel

Le temps passa, jusqu’au jour où, alors que le tramway faisait le tour de la Plaza Bonavona, une immense lumière s’est faite dans mon cœur, si forte que je me suis dit intérieurement : « Je serai Petite Sœur de l’Assomption ». Je n’ai pas pu l’oublier. Bien plus tard, j’ai lu cette phrase du P. Pernet : « Dans les choses de Dieu, tout commence par la lumière » et je me suis souvenue de ce qu’avait dit une religieuse de Jésus-Marie : « Nous ne t’avons pas fait signe, parce que tu avais l’air d’être attirée par les pauvres. »

J’ai demandé à la Communauté de San Gervasio si je pouvais aller avec les Petites Sœurs travailler dans les familles auprès des malades et je suis allée avec Sr. Delfina Zorita chez Enriqueta, une jeune femme maltraitée, vivant avec ses deux adolescents dans un sous-sol. Elle était très malade du rein. Je me suis longtemps occupée d’elle, en l’absence de Sr. Delfina qui m’avait appris les rudiments au niveau des soins, des repas, du respect et de la discrétion etc.. le tout avec une grande délicatesse. Ces quelques mois sont restés gravés en moi. Entre Enriqueta et moi, une profonde amitié est née qui dure éternellement…

J’avais 19 ans quand je fus invitée à un mariage à Tossa de Mar, et je fus placée à table à côté du médecin titulaire du village, L.B. Il est difficile de décrire ce qu’il s’est passé, mais il est certain que nous avons été tous les deux profondément « touchés par la foudre ». Nous avons commencé à nous fréquenter et ma bicyclette fut alors ma compagne inséparable. Mais ma souffrance était immense… De nouveau, je suis allée à maintes reprises m’asseoir près du Tabernacle, parlant en silence, écoutant…  Un jour, nous avons dû nous expliquer avec L.B. « Tu as quelqu’un d’autre ? », m’a-t-il demandé ; « Non », lui ai-je dit catégoriquement… Et je lui ai parlé de mon projet de Vie. Nous avons pleuré tous les deux. Le lendemain nous nous sommes rencontrés à la messe… il m’a félicitée cordialement. Le reste est dans le cœur de Dieu et de beaucoup de personnes et familles ouvrières.

Et ma famille, dans tout cela ? J’ai beaucoup réfléchi… mais certaines personnes de confiance me disaient : « Si tu ne le fais pas maintenant, tu ne le feras jamais ». Mes frères et sœurs étaient encore très jeunes. Juan, qui avait tant aimé ma mère et l’avait soignée ; Núria, qui est devenue mère de 6 enfants, m’a beaucoup aidée avec son amitié qui dure encore. Pilar n’avait que 13 ans. C’était très risqué. Je l’aimais comme si elle était ma fille. Mes grands-parents maternels furent effondrés par ma décision… mais peu à peu, ils l’acceptèrent et s’en réjouirent même… 

Le 21 juin 1954, fête de saint Louis de Gonzague, après avoir dit au revoir à chacun des membres de ma famille tant aimée, je suis entrée dans le Communauté des Petites Sœurs de l’Assomption de Sarriá. Mon père m’a accompagnée en portant ma valise et moi j’étais à bicyclette.

Rosa M.Barber (PSA)

IMG-20200907-WA0010

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *