De Notre-Dame de l’Atlas, Tibhirine, Algérie, à Notre-Dame de l’Atlas, Midelt, Maroc
En 2024 où nous faisions mémoire des 30 ans de la disparition des premiers des 19 martyrs d’Algérie, Paul-Hélène et Henri, j’ai eu la chance de pouvoir séjourner pour un temps de ressourcement à la Trappe Notre-Dame de l’Atlas à Midelt au Maroc.
Privilège, grâce ? Les deux à la fois !
Ce n’est pas rien de se replonger dans cette page d’histoire de l’Église du Nord de l’Afrique dont la terre, dès les premiers siècles de la chrétienté, a été abondamment arrosée et fécondée par le sang des martyrs de leur foi… et dont notre père saint Augustin est issu !
Cette histoire de l’Église du Maghreb est devenue l’histoire de l’Église universelle depuis le 08 décembre 2018, date de la béatification des 19 religieux et religieuses qui ont donné leur vie pour rester fidèles jusqu’au bout au peuple algérien dont ils étaient les hôtes et dont ils partageaient les joies et les souffrances.
Le 08 mai 1994, Paul-Hélène et Henri étaient les premiers à tomber. Ils furent suivis dans les années 1994 et 1995 de 9 autres, Missionnaires d’Afrique, Sœurs Augustines, Petite Sœur du Sacré Cœur, Sœurs de Notre-Dame des Apôtres et en 1996 les 7 frères Trappistes de Tibhirine suivis du père Claverie avec son chauffeur Mohamed.
Ces 19 martyrs ont en commun d’avoir tous fait le choix conscient de « demeurer et durer au cœur de ces peuples, pour témoigner de la grandeur de l’homme aux yeux de Dieu dans un peuple qui confesse haut et fort « un Dieu le plus grand ».
C’est en ces termes que nous avions exprimé notre projet de Région à notre chapitre régional à Lyon en 1992 :
« Demeurer et durer dans ces peuples, conscientes que la faiblesse et la folie de notre petit nombre et de notre vieillissement pouvaient être lieu d’accueil et de puissance de l’Esprit ; et que nos vies livrées fassent signe là où notre témoignage s’exerce le plus souvent dans le silence ».
C’était deux ans avant les événements du 8 mai 1994, et à l’époque, nous ne savions pas qu’il en couterait la vie de l’une de nous et de tant d’autres….
Dès 1988, la Trappe de Tibhirine avait ouvert, à la demande du diocèse de Rabat, une petite annexe à Fès, et c’est là qu’après la mort des moines en 1996, et après avoir espéré pouvoir rouvrir une communauté en Algérie, les moines se sont regroupés et l’annexe de Fès est devenue officiellement le prieuré Notre-Dame de l’Atlas en continuité de celui de Tibhirine.
Un magnifique mémorial de Tibhirine a été édifié dans la cour du monastère, et permet aux visiteurs de se réapproprier les grands moments de la vie de la communauté et de sa fin tragique en mai 1996.
En 2000, ils déménagèrent et s’installèrent à Midelt, à 200 km au sud de Fès, dans l’ancienne propriété des Sœurs Franciscaines de Marie. Actuellement ils sont 6 de 4 nationalités différentes : situation précaire et fragile…. mais qui ne les empêche pas de poursuivre la mission qui était la leur en Algérie, dans une grande simplicité et proximité avec la population locale de Midelt.
- Au cœur de ce monde musulman, être des priants au milieu d’autres priants. Les 7 offices quotidiens alternant avec les 5 appels à la prière des musulmans. La prière s’élève vers Dieu de toute part… y restera-t-il sourd en ces temps de grandes souffrances dans notre monde ?
Quelle belle fête de l’Assomption entre nous tous ! Patronne de l’Ordre cistercien et la nôtre Petites Sœurs de l’Assomption ! - Le partage de vie et du travail de l’exploitation de pommiers se fait avec des ouvriers marocains venant du village. Chaque matin la communauté, les ouvriers, les hôtes se retrouvent pour la pause autour d’un verre de thé et de pain aux sardines, le tout offert par le responsable marocain de l’exploitation : c’est le temps d’échanges de nouvelles qu’elles soient familiales ou autres.
Qui pourra oublier le beau et grand sourire de Baha, la cuisinière du monastère et de l’hôtellerie ?
Ainsi se vit une belle amitié qui parfois va même jusqu’au partage d’un repas pour les grandes fêtes musulmanes ou chrétiennes, ou comme cette année pour fêter la pose de climatiseurs offerts aux moines par des amis pour la chapelle et le scriptorium.
C’est l’entreprise ayant fait les travaux qui a offert ce repas auquel ont participé la communauté, les ouvriers, les familles des hôtes… une belle ambiance dans un grand respect mutuel et une belle fraternité. Quelle chance d’avoir vécu tout cela… - A Tibhirine, le frère Luc, médecin, soignait tous les gens du village. A Midelt nous sommes dans un autre contexte, mais un local du monastère a été légué aux FMM qui ont ouvert un petit centre pour les enfants infirmes moteurs cérébraux. Rien dans ce domaine n’existait et ces enfants restaient enfermés à l’abri des regards. Ainsi maintenant plus d’une vingtaine sont pris en charge au centre et à domicile.
- Comme dans tout monastère cistercien, l’accueil est une dimension constitutive de leur vie. A Midelt, l’hôtellerie est ouverte du début de la semaine sainte à la Toussaint. Le reste de l’année, le climat trop froid ne permet pas cet accueil.
Cette année, malgré une chaleur plus intense que d’ordinaire, les hôtes étaient bien au rendez-vous : des novices des Petites Sœurs de Jésus, des scouts de la région parisienne, une famille venue célébrer leurs 25 ans de mariage, des retraités, une psychologue scolaire, des groupes d’étudiants et de jeunes pros etc… Sans compter tous ceux et celles qui passent pour se rendre au mémorial ou, passer quelques heures en silence…
Tout cette variété d’hôtes est d’une grande richesse et montre un visage d’une Eglise ouverte à l’universel, tout en étant bien les deux pieds dans la pâte. Joie d’être témoin de la ferveur de tous ces jeunes aussi !
Que viennent chercher au monastère tous ces hôtes ?
Leur objectif premier est de désirer apprendre comment parler Jésus-Christ, vivre Jésus-Christ, témoigner de Jésus-Christ par toute leur vie, dans les contextes qui sont les leurs ; contextes de déchristianisation bien souvent, contextes multiculturels et multiconfessionnels de nos villes et banlieues d’Europe, où la personne humaine souffre d’un grand manque de reconnaissance et où les plus vulnérables sont laissés au bord du chemin.
La vie au monastère est un bon exemple de ce témoignage de la Bonne nouvelle en actes, sans bruit, comme disait le Père Peyriguère …. écho de ce que désirait le Père Pernet pour les Petites Sœurs :
« Mon rôle est de vous montrer le Christ, de vous le faire rencontrer, de vous le faire trouver, et quand vous l’aurez trouvé, que je disparaisse, que je me taise et que lui seul vous parle » P.Peyriguère
« Si vous n’êtes pas un autre Jésus-Christ, vous ne pouvez pas être une petite sœur de l’assomption »E.P
Un séjour au monastère permet les deux, en dépit de sa petitesse et de sa fragilité, par :
- La prière silencieuse et partagée avec une partie de l’office liturgique en langue arabe
- La fréquentation quotidienne et ordinaire du personnel de l’exploitation agricole, de la cuisine, de la sécurité en la personne des unités de la police qui veillent jour et nuit sur l’ensemble
- L’accueil de la grande diversité d’hôtes qui élargit l’horizon et fait communier aux préoccupations diverses venant de tous les coins, ranime l’espérance devant l’engagement de tous ces jeunes et leur foi. [..]
Merci pour ce temps à la Trappe de Midelt, où il me fut donné de demeurer et durer un peu plus que le temps d’une retraite…
Dans un cadre d’une beauté sans pareille, et une vie de fraternité aux dimensions du monde, j’ai pu ré-enraciner ma vie de PSA avec son « âme de carmélite et son cœur de missionnaire. »
La mission confiée, ici à Tunis, dans son originalité, le nécessitait !
Françoise Audebrand, Tunis.