Chemin de foi et de compassion

Chemin de foi et de compassion
Je m’appelle Thi Thien Huong BUI et suis née au Vietnam. En 2024, j’ai eu l’immense bonheur de prononcer mes vœux définitifs au sein de la Congrégation des Petites Sœurs de l’Assomption. Ce moment, point culminant d’un cheminement long et profond, résonne en moi comme l’accomplissement d’un désir ancestral. J’ose dire que je suis née avec l’aspiration profonde de consacrer ma vie entière à Dieu. Dès l’âge de 8-9 ans, un appel du Seigneur à me donner totalement à Lui m’habitait déjà, bien que je ne comprenais pas encore pleinement la richesse de la vie religieuse.
1. Un Appel précoce : Racine et nourriture d'une foi vive
Troisième d’une fratrie de quatre enfants, j’ai eu la chance de recevoir très tôt le don de la foi, transmis par ma famille. Mes parents, véritables piliers, nous ont initié à la prière dès notre plus jeune âge : la messe quotidienne et la prière collective chaque soir ont forgé en moi un sens profond de Dieu. Mon enfance et mon adolescence furent imprégnées de l’amour de mes parents, frères et sœurs. L’engagement de mes parents au sein de l’Église, leur participation active aux diverses activités et services, ont fait de notre paroisse une véritable seconde famille, où mon frère, mes sœurs et moi participions au catéchisme, à la chorale et à la danse. Le désir de me donner à Dieu, toujours présent, a ainsi pu mûrir paisiblement en mon cœur.
2. L'Expérience des Pauvres : La Parole « faite chair » et le choix d'une Congrégation
La Parole de Dieu, vibrante et impérieuse, m’a interpellée, me poussant à approfondir cet appel : « J’ai vu la misère de mon peuple… je l’ai entendu crier… Va… je t’envoie » (Ex 3, 7-0). Les pauvres, j’ose le dire, occupent une place immense dans mon cœur. Ce lien viscéral m’a incité, après mes études, à aller à leur rencontre afin de laisser mûrir en moi le désir de leur dédier ma vie, pour Dieu. C’est ainsi que j’ai choisi de me rendre dans la région du Delta du Mékong, au Vietnam, pour offrir des cours d’anglais à des enfants défavorisés. Ces rencontres m’ont également permis de visiter les plus démunis de cette région. Découvrant, par l’intermédiaire de mes élèves, la précarité et l’incertitude de la vie de leurs familles, j’ai été profondément bouleversée. Face à cette pauvreté extrême, un appel irrépressible à agir pour eux s’est fait sentir. Après avoir partagé et vécu cette précarité avec les plus vulnérables, j’ai senti cet appel grandir en moi, me menant à la recherche d’une Congrégation apostolique dédiée au service des pauvres. En 2011, j’ai eu la grâce d’entrer chez les Petites Sœurs de l’Assomption.

3. La Mission au cœur de la Congrégation : Découvrir Dieu dans l'Humanité souffrante
Au sein de la Congrégation des Petites Sœurs de l’Assomption, je peux vivre pleinement mon désir de servir les plus pauvres. Arrivée en France en 2012, j’y ai accompli toutes les étapes de formation. Animée par cette passion d’être aux côtés des personnes pauvres et vulnérables, ma Congrégation m’a toujours offert l’opportunité de réaliser ce désir, de mon entrée… jusqu’à mes vœux définitifs. À travers les diverses missions qui m’ont été confiées – auprès des personnes handicapées, des personnes âgées, des migrants, des enfants placés – je découvre, pas à pas, le visage de Dieu et son humanité dans chaque rencontre. Cet appel à la recherche demeure toujours en moi une soif inassouvie d’aller toujours plus loin à Sa Rencontre.
Depuis mars 2021, je suis salariée dans un foyer d’hébergement pour personnes en situation de handicap psychique. Ma mission est plurielle : accompagner leur bien-être au quotidien, les aider dans les démarches administratives et maintenir le lien avec leurs familles, curateurs ou tuteurs. Cette mission, bien que parfois difficile, est immensément enrichissante. Les personnes accueillies sont d’une grande diversité : certaines ont des déficiences légères ou des troubles comportementaux, d’autres ont vécu des traumatismes profonds ou sont issues de placements difficiles par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Leurs vies sont souvent marquées par la souffrance et l’angoisse. J’ai souvent été émue aux larmes en découvrant leurs parcours de vie ou lors d’entretiens personnels. Je me tais face aux situations les plus extrêmes, incapable d’élaborer un discours théologique. Je les rejoins simplement dans leur détresse et celle de leur famille avec tendresse. En tant que religieuse, je demeure une femme, et comme toute personne confrontée à ces drames quotidiens, il m’arrive de me taire, ne sachant que répondre. Le silence de la compassion n’est jamais pesant, et je suis intimement convaincue que certains silences sont source de bienfaits. À chaque fois, mon cœur chavire, et je me sens si petite face à l’infiniment grand de Dieu. Parfois, la colère m’envahit, car je ne suis pas toujours en accord avec Dieu. Ma vie personnelle a ses propres souffrances, et je vois tant d’autres personnes autour de moi qui souffrent et j’ai envie de Lui dire : « Seigneur, tu aurais pu faire autrement… » Mais cette colère s’apaise. Que puis-je faire d’autre pour ces personnes, dans leur humanité la plus profonde, sinon les rejoindre dans leur douleur, dans leur souffrance ? Par ma présence, ma proximité, mon sourire, je pose sur elles un regard d’amour : qu’elles qu’elles soient, même brisées par des traumatismes ou des handicaps psychiques, même si elles ne correspondent plus à l’idée que l’on se fait d’un être humain, leur dignité demeure intacte. Je découvre en elles une beauté intérieure. À l’image de Jésus, mon unique offrande est ma passion, mon temps passé à accompagner ces personnes dans leur angoisse.
Je leur exprime ma gratitude, car elles me permettent de vivre pleinement ma mission de Petite Sœur de l’Assomption. Grâce à elles, je reconnais aussi ma propre fragilité, car on ne peut accompagner les autres sans se reconnaître soi-même dans cette commune humanité. Être auprès d’elles est une source de joie profonde qui jaillit en moi, car je peux vivre pleinement cette mission, trouvant un véritable sens à ma vie à travers mes activités professionnelles.

4. La vie de foi et la collaboration avec Dieu
Les événements vécus, qu’ils soient personnels ou professionnels, m’aident à grandir pas à pas. Ils me guident sur un chemin de liberté pour suivre Jésus-Christ avec une maturité et une liberté intérieure accrues. J’affectionne particulièrement cette phrase de l’Apocalypse 3,20 : « Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi »(Ap 3,20). Ce Dieu qui me cherche, qui vient sans cesse à moi, même lorsque je suis tourmentée par des crises d’angoisse ou une colère intérieure contre Lui, n’intervient pas avec toute-puissance. Il frappe à la porte et attend ma réponse. Cela ne signifie pas qu’Il est impuissant, mais qu’Il ne peut que s’offrir, ne me privant jamais de sa grâce, et me demandant de collaborer librement avec Lui.
La joie de l'appel : Retrouver mon identité au cœur des pauvres
Marcher à la suite de Jésus, pour moi, n’est pas une contrainte, mais une source inépuisable de joie profonde. C’est au sein des Petites Sœurs de l’Assomption que j’ai la grâce de retrouver et d’affirmer mon identité la plus authentique. Ici, l’appel divin, loin d’être un mystère pesant, se révèle comme une invitation continue, un dialogue permanent.
Cette quête, loin de s’inscrire dans l’abstraction, prend chair et sens dans la rencontre des personnes pauvres et vulnérables. C’est auprès d’elles, dans leur regard et leurs histoires, que je perçois le mieux la présence du Christ. Leur humble humanité devient le livre ouvert où je cherche et découvre Sa Trace.
Être au service des plus démunis n’est pas seulement un acte de charité, c’est un véritable chemin de construction personnelle. Chaque interaction, chaque épreuve et chaque sourire partagé façonnent ma personnalité, me permettant de discerner, pas à pas, les dons reçus de Dieu – ces lumières intérieures que je peux mettre au service. Dans cette même dynamique, mes fragilités se révèlent, non pour m’affaiblir, mais pour m’inviter à l’humilité et à la confiance. C’est dans ce constant aller-retour entre dons et limites que grandit et s’affine mon désir ardent de servir.

