L’histoire d’Aline Lavoix, Sr Saint-Philippe

L’histoire d’Aline Lavoix, Sr Saint-Philippe

Les archives peuvent être un moyen de découvrir, ou redécouvrir, de beaux parcours de vie. Une nouvelle occasion, nous en fut donnée grâce à Mme Laure Mestre, autrice d’un premier livre relatant son « enquête généalogique » sur sa propre famille (Jeanne l’Alsacienne, récit transgénérationnel, Laure Mestre, Librinova, 2022) et qui a un jour contacté les archives des Petites Sœurs de l’Assomption car elle recherchait des informations concernant une certaine Aline Lavoix, connue dans la congrégation sous le nom de Mère Saint-Philippe.

Aline Lavoix, Mère Marie Saint-Philippe (ici en 1960)

Mme Mestre s’est présentée comme étant l’arrière-petite-fille d’une femme qui aurait été sauvée de la déportation grâce à Aline Lavoix pendant la première guerre mondiale, à Douai. Bien que la sachant décédée, elle souhaitait éclairer cette histoire et témoigner de sa reconnaissance auprès de la congrégation.

Mère Saint-Philippe, religieuse

Le parcours de Mère Saint-Philippe après son entrée dans la congrégation est relativement bien connu : arrivée au postulat en 1919, elle prononce ses premiers vœux deux ans plus tard et ses vœux perpétuels en 1928. Elle fut maitresse des novices de 1936 à 1946 puis assistante générale pendant 22 ans, jusqu’en 1969. Elle vécut une partie du temps de la deuxième guerre mondiale à la Maison-Mère, où elle participa à l’accueil des réfugiés et l’organisation de la cantine (soupe populaire) pendant l’Occupation.

Conseil général élu en 1946. Mère Saint-Philippe est la première à gauche

En 1954 et dans les années qui suivirent, elle contribua aussi, avec d’autres PSA, à la mise en place de la Mission Ouvrière, suscitée par l’épiscopat français.

Dans ces diverses missions, elle a marqué de nombreuses religieuses par son « bon sourire », son sens missionnaire, son dynamisme, son attention affectueuse, sa droiture, sa « largesse d’esprit », mais aussi sa fermeté. L’article du Pain de Chez Nous qui relate son décès en 1987 évoquait aussi son « exigeante bonté » : la mission primait, mais « on se sentait en même temps écoutée, (…), comprise, appelée à grandir, à se dépasser, non sans souffrances, parfois. » Elle était intimement convaincue que prière et mission allaient de pair.

En 1969, six mois après avoir quitté le conseil général, elle écrivait :

« Cette année a marqué un tournant que j’ai essayé de prendre d’accord avec ma vie consacrée où le Christ doit avoir toute la place. (…)
J’ai senti ce que c’était de passer d’une situation de responsabilité à une situation où l’on a à s’effacer, avec le risque -si on ne le fait pas- de gêner celles qui ont la grâce actuelle pour guider la Congrégation. Ne plus savoir grand’chose de ce que l’on a organisé est coûteux, mais c’est bon pour l’âme et si naturel dans une vie religieuse. (…)
Comment aimer mieux et plus, me laisser prendre par ce feu dévorant de la charité, ce désir intense du salut des âmes ? J’ai peur de la souffrance, de la mort. Alors, je me contente de supplier le Seigneur de me faire réaliser son plan sur moi (…) »

Les archives conservent également un certain nombre d’exposés et de conférences qui lui ont été demandées, en particulier dans le cadre de la formation des supérieures, ainsi qu’un livre qui lui a été consacré par Sr Rose-Marie Chaine en 1999 et auquel j’invite toute personne intéressée à se reporter (le texte est disponible aux archives en Français, Anglais et en Espagnol, n’hésitez pas à nous contacter !).
Elle est décédée à Songeons en janvier 1987.

Qu’a-t-elle vécu avant son entrée dans la congrégation ?

Ce qui est moins connu, c’est son histoire avant son entrée dans la congrégation.
Aline Lavoix est née le 23 février 1893 à Douai au sein d’une famille de cinq enfants, dans laquelle elle reçut une éducation chrétienne dans une atmosphère d’amour familial. Un des témoignages que nous avons évoque même une « enfant choyée » et s’émerveille que cette enfance assez gâtée n’ait pas eu « d’effets déplorables » sur la jeune Aline.
Il semble qu’elle ait ressenti un appel à la vie religieuse dès l’âge de 15 ans mais ses parents lui demandèrent d’attendre sa majorité (21 ans à cette époque) et de suivre ses études d’infirmière auparavant. Aline entre donc à la Croix Rouge en 1912, alors qu’elle a 19 ans et obtient peu à peu les diplômes pour devenir « Dame infirmière ».
Mais la guerre éclate, et Douai, comme une partie du Nord de la France, est occupée par l’armée allemande. La Croix Rouge ouvre un hôpital et Aline Lavoix est finalement affectée à la direction d’une grande salle d’environ 40 lits. Aline témoignera par la suite à quel point, à cette époque, la population douaisienne se sentait isolée du reste de la France du fait de l’occupation. La ville était située près du front et la population entendait quotidiennement le canon des combats.
L’hôpital est fermé dès octobre 1915 (plusieurs raisons sont avancées, la principale étant que les Allemands ont voulu y faire travailler leurs propres infirmiers) et Aline et ses amies profitent de ce temps désormais libre pour faire du catéchisme mais aussi…rendre visites aux malades à domicile. C’est là, explique-elle dans son témoignage, qu’elle a compris que les malades avaient besoin qu’on reste longtemps auprès d’eux, qu’on ne fasse pas qu’y passer. Cette expérience lui fera apparaître plus tard la congrégation des PSA comme celle qui lui permettrait de répondre à cet appel.
En 1917 puis début 1918, les Allemands décidèrent de désigner des otages afin de faire pression sur le gouvernement français. Les hommes furent envoyés en Lituanie et les femmes dans le camp de Holzminden, en Allemagne.
La tradition orale dans la famille de Mme Mestre, ainsi que le témoignage du colonel Lavoix, neveu de Mère St Philippe, indiquent que, non désignées, Aline Lavoix et certaines de ses amies décidèrent de se porter volontaire pour remplacer d’autres femmes, âgées ou souffrantes. Ni Aline ni une de ses amies, dont nous avons le témoignage, ne mentionnant s’être fait porter volontaire, une autre hypothèse est qu’elles aient été désignées pour remplacer ces femmes âgées ou souffrantes.
Quoi qu’il en soit, parmi ces femmes qui échappèrent ainsi à la déportation, se trouvait Jeanne Thomas, épouse Picard, l’arrière-grand-mère de Laure Mestre. Aline, elle, partit pour le camp de Holzminden le 10 janvier 1918. Le voyage lui-même se fit dans des conditions très pénibles, dans des wagons non chauffés, par des températures inférieures à zéro degré. Le trajet, de nuit, fut difficile, impossible de dormir. Il dura 4 jours : le convoi s’arrêtait pendant la journée pour faire monter des lots de femmes déportées elles aussi, et repartait le soir.
Dans ce camp, qui comptait 120 baraques et était entouré de fils barbelés de 2 mètres de haut, surmonté de miradors, les conditions de vie étaient rudes : entassement dans des baraques, manque de nourriture, infestations de punaises…Mais les détenus pouvaient recevoir des colis et quelques services avaient pu être organisés, comme une chapelle, une école. Après six mois, le 15 juillet, les Allemands rapatrièrent les déportées vers la zone libre en France, en passant par la Suisse. Le retour fut long, mais se déroula dans de meilleures conditions que l’aller.

Carte de déportée politique d’Aline Lavoix, établie en 1956.
Cette carte, consultable en ligne, est conservée dans les archives du Service Historique de la Défense, Division des archives des victimes des conflits contemporains, à Caen

Ce n’est qu’après la guerre, en novembre 1918, qu’Aline put enfin rejoindre ses parents en Belgique, où ils avaient été évacués, avant de rentrer dans le nord pour quelques mois puis rejoindre Paris et d’entrer comme postulante chez les Petites Sœurs. Elle prit le nom de Sœur Marie Saint-Philippe en souvenir de son frère, tué sur le front le 23 juillet 1918.


Céline Hirsch, service des archives, janvier 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *