« Chaque histoire compte vraiment »

« Chaque histoire compte vraiment »

Des récits de vie pour une amitié intergénérationnelle

C’était le rêve de Valentine, 17 ans, depuis qu’elle est enfant : écrire un livre. Et c’était le souhait de Sr Marie-Claire, 94 ans : « depuis longtemps, j’avais envie de partager ce que j’avais vécu ». Le projet « Chaque histoire compte vraiment » a permis de concilier ces deux désirs.

Pendant toute l’année scolaire 2022-23, quelque 90 lycéens se sont rendus chaque semaine, plume à la main, rencontrer chacun un résident, dans divers EHPAD. Ils les ont écoutés et ont pris des notes, pour ensuite rédiger leur « livre de vie ».

La régularité des rencontres fut exigeante pour ces jeunes en terminale – une année bien chargée – qui se sont engagés à trouver un créneau libre en dehors de leur temps scolaire. Pas facile de venir après les cours sans tomber sur l’heure du dîner à l’EHPAD ! Mais ils ont réussi, malgré des rythmes de vie bien différents, et des oublis qui sont autant dus aux négligences des uns qu’aux problèmes de mémoire des autres…

Des auteurs en herbe qui bénéficient d’une petite formation

Entre novembre et avril, lors de ces rendez-vous savoureux, les jeunes ont appris peu à peu à écouter, à recevoir des confidences, à prendre des notes (enregistrements proscrits !) et à poser des questions.

Ensuite, c’est un véritable exercice de rédaction qui les attendait puisqu’il leur a fallu retranscrire leurs notes pour rédiger un livre de 80 pages écrites à la première personne. L’emploi du « je » permet effectivement aux auteurs de ne pas être de simples spectateurs éloignés, mais de rentrer dans la peau du personnage tout en évitant le jugement.

Cependant, les auteurs en herbe n’ont pas été complètement livrés à eux-mêmes. Avant de commencer, l’association Ce qui compte vraiment (CQCV) leur a proposé une formation à la rencontre, au fonctionnement du cerveau et à l’écriture, avec le soutien d’Anne-Dauphine Julliand, autrice et initiatrice du projet. Parmi les conseils en rédaction, on leur suggère d’être attentifs à la manière de s’exprimer de leur binôme, aux différences de vocabulaire entre leurs deux générations. C’est ainsi qu’Alex s’est surpris à écrire le mot « soulier » pour la première fois, et que Léa admet que l’adjectif « tordant » n’appartient pas en principe à son vocabulaire habituel !

Toutes les trois semaines, les lycéens faisaient le point avec l’association, notamment pour recevoir quelques conseils si des difficultés se présentaient. Ce fut le cas de Léa qui, presque arrivée à la fin de la série des entretiens, s’est trouvée tout d’un coup confrontée à un problème de taille : « je suis embêtée, dit-elle, hier, pour la première fois, Mme G. m’a parlé de son mari alors qu’elle n’avait jamais mentionné qu’elle était mariée jusque-là ». On lui conseille d’oser demander la raison de ce silence au prochain rendez-vous : « avez-vous eu un mariage malheureux ? », demande-t-elle. La réponse ne se fait pas attendre : « Ah non, pas du tout, j’ai aimé mon mari…. mais là, c’est MON livre ».

Une fois la phase de rédaction terminée, l’association a donné un dernier petit coup de pouce : elle a corrigé les fautes, aidé à l’ordre des chapitres, détecté les incohérences (quand par exemple le nombre d’enfants de la résidente fluctue au cours du récit) et s’est assurée que le récit n’était pas malveillant (on a déjà vu une résidente en profiter pour régler ses comptes avec son ancienne voisine).

Les lycéens se sont avérés d’excellents passeurs de mémoire, fidèles dans la retranscription du récit, même quand la personne âgée avait des trous de mémoire. Pas question cependant de broder autour de ces trous et d’y ajouter ce qui n’a pas été dit.

Et l’aboutissement de tout cela, c’est un beau livre relié, qui a été remis lors d’une cérémonie officielle, le tout en huit exemplaires : un pour le ou la jeune, et le reste pour la personne âgée qui choisit de le distribuer autour d’elle. « Je vais en donner un à mon aide-soignante : elle verra bien que j’ai eu la vie dure et alors elle comprendra pourquoi je ronchonne tout le temps ! ».

Pas besoin d’une vie trépidante à raconter, seule l’humanité les intéresse

Pourtant, lorsque le projet avait été proposé aux résidents, les réticences étaient nombreuses. Le plus souvent, on les entendait dire : « mais je n’ai rien à raconter !». Justement, on ne cherche pas des vies trépidantes, mais des vies simples, des petites choses… et derrière ces petites choses c’est toute une humanité à partager.

Mme C., elle, avait d’abord refusé parce qu’elle trouvait le principe trop inquisitif. « Ma vie, ça ne regarde personne… » Après réflexion, elle se dit qu’à 17 ans, les jeunes ne se doutent pas de ce que l’avenir leur réserve, et qu’entendre des récits de vie pourrait les aider.

C’était effectivement l’idée fondatrice du projet : amener les jeunes à prendre conscience de ce que d’autres générations ont vécu. Leur permettre de se décentrer de leur vie, de leur époque, afin de relativiser leurs inquiétudes. Témoin cette lycéenne qui, prenant conscience que sa résidente n’avait pas connu l’eau courante dans sa jeunesse, s’est précipitée ensuite chez elle pour ouvrir un robinet en déclarant : « plus jamais je n’ouvrirai un robinet de la même façon ! »

Ils ont ainsi pu se plonger dans une époque dont, la plupart du temps, ils se sentent très détachés. L’association peut se féliciter quand on entend un jeune dire : « Je sais d’où je viens et à quelle humanité j’appartiens ». 

La joie de ces rendez-vous, c’est mieux qu’un médicament !

Et pour les résidents, combien de bienfaits ! Ils réalisent l’importance de ce qu’ils partagent, et le fait de se replonger dans des souvenirs réactive la mémoire. Comme le disait Sr Marie-Claire, « ça m’a permis de repasser ma vie en détails. On a besoin de jeunes autour de nous ». Huguette, elle, va plus loin dans son remerciement à Anaïs : « tu as changé toute ma vie car tu as changé le regard que je portais sur ma vie ». En effet, c’est en découvrant le titre qu’Anaïs avait choisi pour son livre « la force de me battre », qu’Huguette a pris conscience de cette force qui avait traversé toute sa vie.

Et si cette gratitude s’exprime, c’est parce qu’au-delà du livre fini, le vrai fruit du projet, c’est le lien qui s’est créé entre les deux.

Valentine raconte : « Au départ, ce n’était pas facile de me dire que j’allais faire la connaissance d’une personne qui a presque 80 ans de plus que moi ; j’étais intimidée, mais j’ai appris à la connaître, et je lui racontais aussi ma vie. Ce n’est pas le récit de sa vie qui a changé quelque chose, mais c’est elle-même. Elle est devenue un peu ma grand-mère d’adoption et je continue d’aller la voir. J’ai aussi fait la connaissance de ses voisines de couloir et du personnel. On ne faisait pas que parler, on allait aussi se promener dans le jardin. Et puis, de temps en temps, elle me donnait de son goûter ! ». 

Et le personnel de la maison de retraite témoigne aussi : « La joie de ces rendez-vous, c’est mieux qu’un médicament ! ». Merci à tous ces jeunes écrivains pour cette belle aventure intergénérationnelle !

Béatrice Baucher

Note:
Le projet « Chaque histoire compte vraiment » est porté par l’association « Ce qui compte vraiment » qui vise à aider les jeunes à s’intéresser aux fondamentaux de leur vie. Après avoir mis en lien lycées et EHPAD en fonction de leur proximité géographique, les binômes lycéen-résident sont créés en fonction des goûts communs des uns et des autres. Créé par Anne-Dauphine Julliand et lancé en 2023, ce partenariat a permis la réalisation de 90 ouvrages en 2022, 250 en 2023. L’an prochain, avec un vrai développement territorial, ce sont 500 livres qui devraient paraître. Un projet de partenariat avec les HLM devrait aussi voir le jour, pour faire parler celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de vivre en Ehpad.

Rendez-vous sur le site www.cequicomptevraiment.org

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